La Cour de cassation a rendu un arrêt important le 17 septembre 2025, qui clarifie les règles de prescription en matière de responsabilité professionnelle, et en particulier le fameux délai butoir de 20 ans. Il confirme la position des juges du fond et offre une précieuse sécurité juridique aux professionnels, notamment les experts-comptables.
Les faits : le préjudice de l'inaction
Tout commence en 1990. Un graphiste indépendant confie sa comptabilité à une société d'expertise comptable. Pendant des années, l'expert-comptable omet une formalité cruciale : l'affiliation de son client à une caisse de retraite pour les professions libérales. Ce n'est qu'en 2017, soit 27 ans plus tard, que le client découvre cette omission, et par conséquent, le préjudice subi.
Il assigne alors la société d'expertise comptable en 2018, espérant obtenir une réparation complète pour toutes les années perdues. La Cour d'appel d'Orléans limite toutefois son indemnisation, estimant que l'action est prescrite pour les faits antérieurs au 29 août 1998. Elle applique le délai butoir de 20 ans prévu par l'article 2232 du Code civil, calculé à partir de la date de l'assignation.
Le pourvoi et le dilemme du délai butoir
Le client conteste cette décision devant la Cour de cassation. Il soutient que le délai de prescription ne devrait commencer qu'au moment où il a eu connaissance de son préjudice, soit en 2017. Le délai butoir, qui aurait expiré en 2010 (20 ans après la naissance du droit en 1990), ne peut pas, selon lui, le priver de son droit d'agir, car il n'avait pas connaissance du dommage avant cette date. Il invoque l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, qui garantit le droit à un procès équitable. Il avance aussi que la Cour d'appel a mal appliqué le délai butoir, en le calculant à partir de l'assignation (2018) et non à partir de la conclusion du contrat (1990).
La réponse ferme de la Cour de cassation
La Cour de cassation a rejeté l'ensemble des arguments du client.
Le délai butoir et le droit d'accès au juge
La Cour a d'abord rappelé le principe de l'article 2232 du Code civil : le délai de prescription ne peut dépasser 20 ans à partir de la naissance du droit. Elle a affirmé que cette limitation, malgré sa rigueur, ne porte pas atteinte à la substance même du droit d'accès au juge. Ce mécanisme est justifié par un but légitime de sécurité juridique, qui impose de ne pas laisser des litiges perdurer indéfiniment. Il s'agit d'une contrepartie au point de départ "glissant" de la prescription, qui peut être reporté jusqu'à la découverte du dommage (article 2224 du Code civil).
Le point de départ du délai butoir
Sur la seconde branche du pourvoi, la Cour de cassation a précisé la manière de calculer le délai butoir de 20 ans. Contrairement à la thèse du client, ce délai ne part pas de la date de conclusion du contrat, mais du fait générateur du dommage. Dans ce cas précis, le dommage a été généré année après année par l'absence d'affiliation et de cotisation. L'action en réparation est donc prescrite pour la période antérieure aux 20 ans qui précèdent l'assignation.
La Cour confirme ainsi la décision de la Cour d'appel, qui avait bien jugé que l'action était prescrite pour les faits antérieurs à 1998, soit 20 ans avant l'assignation de 2018.
Conclusion : l'importance de la vigilance
Cet arrêt est une victoire pour la sécurité juridique. Il renforce le délai butoir de 20 ans et protège les professionnels contre des actions en responsabilité intentées des décennies après les faits. Il souligne également la responsabilité des justiciables de faire preuve de diligence pour s'assurer que leurs droits sont bien respectés. En résumé, si la justice protège la victime, elle ne le fait pas sans fin. Ce qui n'a pas été découvert dans un délai raisonnable peut ne plus être réparé.
Lien : Cour de cassation, 17 septembre 2025 ; Pourvoi n° 24-12.392, publié au bulletin.