lundi 15 septembre 2025

Electriciens et tout professionnel du bâtiment : la Cour de cassation renforce la présomption de votre responsabilité décennale

La Cour de cassation vient de rendre une décision importante concernant les conditions d'engagement de la responsabilité décennale des professionnels du bâtiment. La cas jugé ici est celui-ci d'un électricien, mais cet arrêt, rendu par la 3e chambre civile le 11 septembre 2025, peut s'appliquer à tous les professionnels du bâtiment.

Le contexte : un incendie, des doutes et un litige

Tout commence par la construction d'une maison d'habitation, pour laquelle un entrepreneur électricien a réalisé des travaux. Quelques mois après la réception des travaux, un incendie détruit la maison. L'expertise judiciaire confirme que le sinistre a pris naissance dans le tableau électrique.

Le maître de l'ouvrage et son assureur assignent l'électricien et son propre assureur en justice, s'appuyant sur l'article 1792 du Code civil pour engager leur responsabilité décennale.

La cour d'appel rejette leur demande. Elle estime que l'incertitude sur la cause exacte de l'incendie ne permet pas de prouver que le sinistre est imputable à un vice de construction ou à une non-conformité des travaux réalisés par l'électricien. En d'autres termes, elle juge que l'électricien n'a pas à prouver une cause étrangère (comme un acte de malveillance ou un défaut d'alimentation externe) tant que l'imputabilité de l'incendie à son travail n'est pas "certaine".


Mais pour la Cour de cassation... l'imputabilité suffit

La Cour de cassation casse l'arrêt d'appel et adopte une position ferme : elle rappelle la responsabilité de plein droit du constructeur.

Voici les deux points clés de sa décision :

  1. Imputabilité versus cause certaine : Pour engager la responsabilité décennale, il n'est pas nécessaire d'établir avec certitude la cause du dommage. Il suffit que le maître de l'ouvrage prouve qu'un lien d'imputabilité "ne peut être exclu" entre les dommages et la sphère d'intervention du constructeur. Dans le cas présent, il était établi que le feu avait pris naissance dans le tableau électrique, ce qui relève de la compétence de l'électricien. Ce lien était donc suffisant.

  2. La charge de la preuve inversée : Une fois ce lien d'imputabilité établi, la présomption de responsabilité pèse sur le constructeur. Ce n'est plus au maître de l'ouvrage de prouver un vice de construction, mais au constructeur de démontrer une cause étrangère (par exemple, la faute d'un tiers ou une force majeure) pour s'exonérer. L'incertitude sur l'origine exacte du sinistre ne peut plus lui être opposée.


Pourquoi cette décision est-elle importante ?

Cette décision renforce la protection des maîtres d'ouvrage. Elle établit une logique de responsabilité plus stricte pour les professionnels du bâtiment :

  • Elle rend la présomption de responsabilité décennale plus difficile à renverser pour l'entrepreneur.

  • Elle impose au professionnel, dont le travail est mis en cause par le siège du sinistre (ici, le tableau électrique), de faire la preuve de son innocence.

  • Elle met en lumière la différence entre l'imputabilité (un lien possible) et la cause (la raison exacte), une distinction juridique subtile mais décisive.

En résumé, si vous êtes électricien et qu'un incendie d'origine électrique se déclare dans un tableau que vous avez installé, il vous appartiendra de prouver que ce n'est pas de votre faute. L'incertitude ne sera plus une échappatoire et il en sera de même pour tous les corps de métier.

Lien vers le texte officiel : Cour de cassation, pourvoi n° 24.10.139 du 11 septembre 2025