vendredi 19 septembre 2025

Exercice illégal de la profession d'expert-comptable : la saisie informatique de données comptables ne suffit pas, mais une preuve déloyale peut être recevable.


La Cour de cassation vient de rendre un arrêt qui pourrait marquer un tournant important dans la jurisprudence française concernant le droit à la preuve et la délimitation de la profession d'expert-comptable. Cette décision intervient dans une affaire opposant le Conseil régional de l'Ordre des experts-comptables de Provence-Alpes-Côte d'Azur à la gérante d'une société de gestion, soupçonnée d'exercice illégal de la profession.


La saisie informatique de données comptables dans un logiciel dédié ne relève pas, à elle seule, du champ de compétence réservé aux experts-comptables.

Le premier point soulevé par le Conseil de l'Ordre portait sur la nature des activités exercées par la gérante et sa société. Le Conseil soutenait que la simple saisie informatique de données comptables constituait un acte relevant de la compétence exclusive des experts-comptables et il était soutenu en cela par la cour d'Appel

Mais la Cour de cassation a rejeté cet argument de manière catégorique. Elle a affirmé sans ambiguïté que "la saisie informatique de données comptables dans un logiciel dédié ne relève pas, à elle seule, du champ de compétence réservé aux experts-comptables." Cette décision apporte une précision essentielle, distinguant la simple exécution matérielle d'une saisie de l'exercice effectif de la profession, qui implique un travail intellectuel d'analyse, de conseil et de certification des comptes. ⚖️


Cependant, le droit à la preuve l'emporte sur la loyauté

Le second volet de l'affaire concernait la recevabilité d'une preuve obtenue de manière déloyale. Pour étayer ses accusations d'exercice illégal, le Conseil de l'Ordre avait produit un rapport établi par un détective privé qui, afin de recueillir des preuves, s'était présenté comme un client ayant un projet de création d'entreprise et de suivi de comptabilité.

La Cour d'appel d'Aix-en-Provence avait jugé cette preuve irrecevable, estimant qu'elle était entachée de déloyauté, car obtenue par "le truchement d'un mensonge." Elle avait refusé de prendre en compte le principe de proportionnalité entre le droit à la preuve d'un côté, et l'atteinte à la loyauté de l'autre.

Mais la Cour de cassation a censuré cette position. Se référant à l'article 6, § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, elle a rappelé que "l'illicéité ou la déloyauté dans l'obtention ou la production d'un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l'écarter des débats." Le juge a l'obligation de procéder à un contrôle de proportionnalité. Cela signifie qu'il doit mettre en balance le droit à la preuve de la partie et les droits des parties adverses, pour déterminer si la preuve est indispensable à l'exercice du droit et si l'atteinte est strictement proportionnée au but poursuivi.

En refusant d'opérer ce contrôle, la Cour d'appel a violé les textes de loi. La Cour de cassation a donc cassé et annulé la décision, mais tout en renvoyant l'affaire devant une nouvelle cour d'appel pour qu'elle réexamine l'affaire en procédant à ce contrôle de proportionnalité.

L'affaire est donc loin d'être terminée mais cette première décision des juges de la cour suprême confirme la primauté du droit à la preuve dans le procès civil, à condition que cette preuve soit jugée indispensable et que son obtention ne porte pas une atteinte excessive aux droits de la défense. Ces faisant, elle marque une évolution significative de la jurisprudence française, qui se rapproche ainsi des principes appliqués par la Cour européenne des droits de l'homme.

Lien vers le texte officiel : Cour de cassation ; Arrêt n° 144 F-B du 17 septembre 2025 ; Pourvoi n° N 24-14.689, publié au bulletin.