vendredi 17 mai 2024

Avocats : le Conseil d'Etat juge que les avocats associés de SEL ne peuvent être regardés comme des entrepreneurs individuels


Il résulte de cette décision qu'ils ne peuvent exercer l'option pour leur assimilation à une EURL et, par suite, être assujettis à l'impôt sur les sociétés. Voici le texte intégral de cette décision...

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., qui exerce la profession d'avocat au sein de la société d'exercice libéral " KPMG Avocats ", dont il est par ailleurs indirectement associé, demande l'annulation du paragraphe 1.4 des commentaires administratifs publiés le 27 décembre 2023 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts sous la référence BOI-RES-BNC-000136. Il soutient que ces commentaires sont illégaux en ce qu'ils indiquent que l'associé d'une société d'exercice libéral (SEL) ne dispose pas de la possibilité d'exercer l'option ouverte aux entrepreneurs individuels par l'article 1655 sexies du code général des impôts pour leur assimilation à une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) et l'assujettissement de leurs revenus professionnels à l'impôt sur les sociétés.

2. D'une part, aux termes de l'article L. 526-22 du code de commerce : " L'entrepreneur individuel est une personne physique qui exerce en son nom propre une ou plusieurs activités professionnelles indépendantes (...) Les biens, droits, obligations et sûretés dont il est titulaire et qui sont utiles à son activité ou à ses activités professionnelles indépendantes constituent le patrimoine professionnel de l'entrepreneur individuel. (...) Les éléments du patrimoine de l'entrepreneur individuel non compris dans le patrimoine professionnel constituent son patrimoine personnel ". Aux termes de l'article 1655 sexies du code général des impôts : " 1. Pour l'application du présent code et de ses annexes, à l'exception du 2 de l'article 206, du 5° du 1 de l'article 635 et de l'article 638 A, l'entrepreneur individuel mentionné aux articles L. 526-22 et suivants du code de commerce (...) peut opter pour l'assimilation à une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (...) dont cet entrepreneur tient lieu d'associé unique. Lorsque l'option est exercée, l'article 151 sexies s'applique aux biens utiles à l'exercice de son activité professionnelle. La liquidation de l'entreprise individuelle emporte alors les mêmes conséquences fiscales que la cessation d'entreprise et l'annulation des droits sociaux d'une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée ou d'une exploitation agricole à responsabilité limitée (...) / 3. Les options mentionnées aux 1 et 2, exercées dans des conditions fixées par décret, sont irrévocables et valent option pour l'impôt sur les sociétés. L'entreprise peut cependant renoncer à l'option pour l'impôt sur les sociétés dans les conditions mentionnées au troisième alinéa du 1 de l'article 239 (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques : " (...) La profession d'avocat est une profession libérale et indépendante. (...) ". Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales : " Il peut être constitué, pour l'exercice d'une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, des sociétés à responsabilité limitée, des sociétés anonymes, des sociétés par actions simplifiées ou des sociétés en commandite par actions régies par les dispositions du livre II du code de commerce, sous réserve des dispositions du titre Ier de la présente loi. / (...) Elles ne peuvent accomplir les actes d'une profession déterminée que par l'intermédiaire d'un de leurs membres ayant qualité pour exercer cette profession ". Enfin, aux termes de l'article 21 du décret du 25 mars 1993 pris pour l'application à la profession d'avocat de cette dernière loi : " Chaque avocat associé exerçant au sein d'une société d'exercice libéral exerce les fonctions d'avocat au nom de la société. "

4. En premier lieu, il résulte des dispositions citées au point 3 que les avocats associés d'une société d'exercice libéral n'agissent pas en leur nom propre mais exercent leurs fonctions au nom de la société dont ils sont associés sans, d'ailleurs, détenir à ce titre de patrimoine professionnel propre. Ils ne peuvent ainsi être regardés comme des entrepreneurs individuels au sens de l'article L. 526-22 du code de commerce, sans qu'aient d'incidence à cet égard les dispositions de l'article 16 de la loi du 31 décembre 1990 mentionnée plus haut selon lesquelles chaque associé d'une société d'exercice libéral " répond sur l'ensemble de son patrimoine des actes professionnels qu'il accomplit " et " la société est solidairement responsable avec lui ", qui sont relatives à la responsabilité civile professionnelle des avocats associés exerçant au sein d'une telle société, ni celles de l'ordonnance du 8 février 2023 relative à l'exercice en société des professions libérales réglementées, qui n'entrent en vigueur que le 1er septembre 2024. Il en résulte que les avocats associés d'une société d'exercice libéral ne peuvent exercer l'option ouverte aux entrepreneurs individuels par le 1 de l'article 1655 sexies du code général des impôts.

5. Par suite, contrairement à ce qui est soutenu, les commentaires attaqués n'ajoutent pas aux dispositions de l'article 1655 sexies du code général des impôts dont ils ont pour objet d'éclairer la portée.

6. En second lieu, dès lors que l'impossibilité pour les avocats associés d'une société d'exercice libéral d'exercer l'option en cause découle de la loi elle-même, M. A... ne saurait utilement soutenir qu'une telle impossibilité a pour effet d'instituer une rupture d'égalité entre les différents professionnels imposés dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, une telle contestation ne pouvant être introduite que par la voie d'une question prioritaire de constitutionnalité.
.
7. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation des commentaires attaqués. Ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent par voie de conséquence qu'être rejetées.


D E C I D E :

--------------
Article 1er : La requête de M. B... A... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au ministre de l'économie, des finances, et de la souveraineté industrielle et numérique.

Source : Conseil d'Etat, 8e-3e ch., 26-4-2024, n° 491673.